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Bastarda
Royal Theater of La Monnaie
March 2023

According to Gaetano Donizetti
 

"Virgin Queen" charmer, bastard child and mythical monarch, Queen Elizabeth I of England (1533-1603) has aroused fascination for several centuries - among historians, poets, playwrights, painters and composers. Gaetano Donizetti dedicated no less than four of his operas to the Elizabethan era: Elisabetta al castello di Kenilworth (1829), Anna Bolena (1830), Maria Stuarda (1834) and Roberto Devereux (1837).

With Bastarda, the director and designer of the project Olivier Fredj and the conductor Francesco Lanzillotta propose to recast this unofficial tetralogy in an ambitious fresco in two evenings retracing the life of Elizabeth I. From emblematic moments of the four operas by Donizetti, it is a new score that will be composed for the benefit of an unprecedented dramaturgy. From a perspective that is both historical and psychological, the project explores the complex figure of a woman of power divided between reason of state and her most intimate feelings.

The result is a six-hour lyrical marathon, divided into two evenings: "For better, for worse ..." which relates Elizabeth's childhood and accession to the throne, and "Till death do us part" which relates its inevitable decline. To carry out this great epic, Olivier Fredj has surrounded himself with an exceptional team with, in particular, Urs Schönebaum for the lighting and the scenography, as well as the designer Petra Reinhardt for the costumes ...

It's easy.

Staging                      OLIVIER FREDJ

Backdrops  and Lights                  URS SCHOENBAUM

Costumes                          PETRA REINHARDT

Videos                             SARAH DERENDINGER

 

Choreographies                      AVSHALOM POLLAK   

Artistic collaboration                CECILIA LIGORIO

 

Elisabetta                   DAVINIA RODRIGUEZ, FRANCESCA SASSU
Anna bolena                 SALOME JICIA
Leicester                    ENEA SCALA
Enrico                     LUCA TITTOTO
Giovanna Seymour & Sara        RAFFAELLA LUPINACCI
Smeaton                    DAVID HANSEN
Cecil                       GAVAN RING
Amalia Robsart               VALENTINA MASTRANGELO
Maria stuarda                LENNEKE RUITEN
Roberto Devereux             SERGEY ROMANOVSKY
Nottingham                  VITTORIO PRATO
The Child

La Monnaie symphony orchestra and choirs
Monnaie sld choir academy of Benoît Giaux

NOTE D’INTENTION

Bastarda, Olivier Fredj

« Dieu demanda à Adam « Où est-tu ? »

Il répondit : « j’ai entendu ta voix et j’ai eu peur, j’étais nu et je me suis caché ».

Genèse, chapitre 3, 10-11.

 

« Où (en) sommes-nous » ?

 

Lorsque chacun·e pénètre dans le théâtre au soir de la représentation, il·elle entre avec sa journée, son trajet, ses amis, son conjoint, ses parents peut-être. Mais aussi son appréhension ou son impatience à la représentation. Enfin avec son expérience de vie, son âge, sa culture, sa langue, son histoire personnelle et l’Histoire collective, son éducation, le fruit des générations qui l’ont précédé : la complexité de l’intimité humaine.

 

Bastarda est l’histoire d’une vie, celle d’Elisabeth Ier - dite Tudor - reine d’Angleterre, d’Irlande et de France pendant 45 ans (de 1558 à 1603).

Une vie, racontée au travers du prisme de la bâtardise de son enfance, à la mort de sa mère Anne Boleyn. Une bâtardise qui porte bien sûr l’exclusion de la lignée royale, mais aussi la rupture de son père Henri VIII avec l’église catholique, la violence contre les protestants portée par sa sœur Mary la Sanglante, la cruauté de ses multiples belles-mères, mais aussi la liberté de femme qu’impliquait l’absence de responsabilité régalienne, notamment dans le choix de l’objet de son amour.

 

L’illégitimité : nos « bâtardises » intimes

 

Si la bâtardise du XVIème siècle représente avant tout l’illégitimité, peut-être doit on alors considérer que chacun est soi-même un « bâtard », mais également roi de son propre royaume. Que chacun porte en soi une bâtardise, un sentiment d’illégitimité avec lequel il lui appartient de composer pendant toute sa vie, dans son « royaume ». Origines, religions, genre, orientation sexuelle, surpoids, port de lunettes, difficultés à l’école, en sport, échecs, et plus gravement les traumatismes, violences ou témoignage de violences familiales, abandon, maladie, deuils… La liste est longue de ce que l’histoire qui nous précède comme la nôtre porte d’éléments qui par la suite nous suivent, nous empêchent, nous motivent, nous stimulent ou nous paralysent, aussi conscients que nous puissions être que ce temps passé s’invite dans nos vies d’adultes.

 

Tiré du livret de Maria Stuarda (finale de l’acte I), le mot Bastarda ne s’entendra que vers la fin de la première soirée de notre diptyque : dans un terrible face à face entre Elizabeth et Mary Stuart, celle-ci lui lance : « Profanato è il soglio inglese, vil bastarda, dal tuo piè ». L’expression est forte et délibérément injurieuse (le passage avait d’ailleurs été modifié par la censure dans la première version de Maria Stuarda), et fera ressentir à Elizabeth que quoi qu’elle fera, elle ne se débarrassera jamais de ce statut. La phrase comme le personnage de Mary Stuart incarnent un condensé de toutes ses bâtardises réunies… qu’Elizabeth tentera de nier en exécutant Mary Stuart. Un geste qu’elle regrettera jusqu’à la fin de sa vie, allant jusqu’à tenter une réparation en choisissant, juste avant sa mort, James I comme roi d’Angleterre, alors James VI d’Ecosse et fils de Mary Stuart.

 

Un double enfant : l’incarnation de la lutte intime

 

Sur la scène, la bâtardise se manifeste plus explicitement par un rôle parlé : celui du double d’Elizabeth enfant. Dans un dialogue entre la reine adulte, l’enfant-bâtarde vient renvoyer en permanence à Elizabeth le miroir des forces qui s’opposent : la reine sans roi, la femme sans mari, la violence contre la tempérance, l’amour et le pouvoir, le refus de la vieillesse, l’absence de filiation…

Un dialogue entre la légitimité absolue de celle qui est désormais la reine consacrée et ce reliquat de bâtardise qui s’impose à tout moment dans la narration et viendra, alors que son règne est victorieux, être le moteur de son échec intime en tant que femme.

 

La collaboration dramaturgique avec Cecilia Ligorio et la co-écriture des dialogues avec Yann Appery ont été des éléments clés pour développer Bastarda dans la compréhension la plus poussée de la dramaturgie et de la construction musicale de Donizetti, et la langue empruntée autant aux écrits d’Elizabeth I elle-même, qu’aux auteurs élisabéthains, Shakespeare, Marlowe… mais aussi une langue moderne, poétique et musicale, portée par des modèles comme W.H Auden (poète et librettiste notamment du Rake’s Progress de Stravinski).

 

Inspiré de ces conflits que l’on pourraient percevoir comme purement psychologiques,  Bastarda au contraire incarne, met en scène, fait coexister librement le réel et la perception, exprime les silences et les luttes internes.

 

“We are performing for children”

 

La confusion des temps s’exprime dans le conte,  – « Once upon a time », « Il était une fois ». Trois narrateurs - qui s’invitent parfois dans l’action-  ouvre le livre de conte. Un texte en anglais, langue de la souveraine et marque la distinction avec l’italien chanté.

 

The Queen, en tant que personnage historique fascinant, femme de pouvoir à la recherche de son identité, qui ce soit dans une lignée dynastique, sur l’échiquier politique européen ou vis-à-vis d’elle-même, – c’est bien elle qui est au centre de notre dramaturgie en étoile, où les autres personnages sont au service de la narration de la vie d’Elizabeth I. Pour en rendre toute la complexité, les couches et les temps se superposent : le temps d’Elizabeth I, le temps de Donizetti et les choix qu’il opère, notre temps de la représentation lors du spectacle. En partant d’une extrême contemporanéité du moment, la Monnaie se transforme comme par magie en palais de Westminster et les spectateurs sont invités à la cour d’Elizabeth. par le seul pouvoir des mots, de l’espace et de l’imagination, le public est au cœur du palais, les ouvreurs des gardes de la Reine, la scène une abbaye, le parlement, un jardin…

Ce soir, au théâtre, comme dans un livre de conte, trois narrateurs se complètent pour faire apparaitre la scène et raconter une vie. La voix de l’intimité du personnage, mais aussi celle de l’Histoire, enfin celle de l’imaginaire.

Dans le conte, les événements sont condensés ou étendus dans le temps ; certains éléments font plus peur que dans la réalité, et généralement il y a une sorte de forêt dangereuse qu’il faut dépasser.

 

Des éléments scéniques au service de la narration et de l’imaginaire

 

Le choix de travailler avec Urs Schönebaum, éclairagiste et scénographe, confirme le désir de convoquer l’imaginaire, de travailler l’unité d’espace du théâtre, comme celui du guignol ou de la maison de poupées de l’enfance. Le Globe de Shakespeare, l’abbaye de Westminster et son parlement, le théâtre de Brook, mais aussi les concepts de l’architecture notamment ottomane, l’utilisation de l’architecture même de la Monnaie ont été nos inspirations. La recréation du manteau d’arlequin sur l’inspiration des rideaux des loges royales et européennes du théâtre en est un exemple. L’espace circulaire de la scène vient en miroir des balcons du théâtre.

 

Ici tout est possible, dès lors que nous acceptons d’y croire. L’espace est ici l’expression des situations, évocations des lieux, puissance scénique du drame.

 

La « bastarda », cet enfant, convoque tour à tour les schémas parentaux, Anne Boleyn, Henri VIII, Jane Seymour, les monstres de ses souvenirs. Cette vision des expériences de l’enfance s’exprime par le travail vidéo de Sarah Derendinger. Familière de l’opéra et proposant un travail puissant, esthétique et fantomatique, elle donne à l’enfant la puissance visuelle de la projection. Vue à hauteur d’enfant et au travers du prisme de la trahison et de la violence de l’exécution, la vidéo live refuse l’utilisation de la technologie comme prétexte à la modernité ou comme objet décoratif et écrasant pour les interprètes. Elle est un acteur, l’expression d’un personnage et une partie intégrante de la narration.

Inspirés autant par Bergman qu’Orson Welles, le live impose un autre point de vue, un contrepoint sur l’action.

 

Le mystère Elizabeth

 

Le drame intime, “the rise and fall of Elizabeth Tudor”, sous-titre de Bastarda, tient principalement au choix de concentrer la narration sur l’impossibilité d’Elizabeth I de faire coexister l’amour et sa vie intime avec sa responsabilité et son rôle de monarque. La tentative vaine de répéter les trahisons et les violences du triangle de l’enfance et de l’autorité du monarque. Elizabeth y parviendra sur le plan politique, mais pas sur le plan personnel : elle saura trouver une tempérance dans les conflits et les fanatismes religieux meurtriers, repoussera l’invincible Armada espagnole, redressera la monnaie et l’économie du royaume, confirmera la force de l’église d’Angleterre et du début de l’Empire britannique.

 

Dans la représentation théâtrale fantasmée coexistent ainsi le drame intime, le drame politique, le drame historique d’un personnage emblématique.

Elizabeth I est en quelque sorte une figure emblématique par excellence : une femme de pouvoir, ayant régné pendant de longues années et dont la vie privée est entourée de mystère et de suppositions. Déjà avant sa mort en 1603 s’était forgé le mythe de la Reine Vierge, l’incarnation volontaire du déni de la vieillesse et de la mort et le remplacement de la figure religieuse catholique de Marie.

 

Dans cette approche, travailler les libertés historiques apparaît comme un élément-clé pour toucher à quelque chose d’essentiel. Il est un fait que dans la vie d’Elizabeth I, les « zones de flou » sont nombreuses, sur sa virginité, sur ses appétits sexuels, sur sa masculinité (ou pas) – des questions qui se rapportent souvent à une dualité masculin/féminin. Qui était cette femme qui a refusé que le sens de la vie était d’avoir un héritier ? Les opéras de Donizetti insistent beaucoup – opéra oblige ! – sur les rapports amoureux.

 

 

L’interprète et le personnage

 

Il y a dans Bastarda une connivence avec le public. Il est présent, invité dans l’œuvre sans le risque de la « prise d’otage » des happenings et des effets de scène. Il sait, nous savons, que c’est du théâtre, que l’on raconte et que l’on fabrique, ce soir-là, devant lui, quelle que soit notre préparation en amont. Dans l’espace symbolique de la scène, ce sont les personnages qui se détachent, par la lumière et les costumes, comme dans un portrait de Vermeer ou de Velázquez. Les couleurs fortes, les matériaux nobles, l’inouï travail de perruques et de maquillage dessinent autour de l’interprète et de savoir des formes saillantes et puissantes, évoque la démesure de la royauté et des personnages, leur puissance opératique. Ils donnent également à voir le vertige du miroir qu’Elizabeth et sa Bastarda sont l’une pour l’autre. Enfin, alors que la folie s’empare la reine vieillissante, les figures de son passé deviennent des monstres, comme une fantaisie de Tim Burton et de sa costumière Colleen Atwood ou la violence des dessins d’enfants du photographe sud-africain Roger Ballen.

C’est l’association parfaite du génie de Petra Reinhardt et du savoir-faire des ateliers de La Monnaie qui ont fait naitre cette extravagance de la forme et du style.

 

Si Elizabeth est au centre de la dramaturgie, toute vie a ses personnages principaux, ses personnages secondaires, sa foule et ses fantômes. Ainsi autour d’Elizabeth, des fantômes de son enfance et des personnes clés de sa vie (Leicester, Mary Stuart, Devereux…), Elizabeth a un peuple, une cour, des serviteurs, tour à tour les lords de son parlement ou les curieux de ses sorties publiques, les courtisans de ses fêtes…

Mais ces mêmes présences dans sa vie, et c’est pour cela que j’ai fait appel au chorégraphe Avshalom Pollak et à sa compagnie, sont aussi les guignols de gesticulent, les ridicules, les amants, les soldats de plomb ou figurines avec lesquels on jouait enfant. Tous les gens de passage dans une vie, avec lesquels souvent, on ne fait que jouer.

La danse dans Bastarda est une extension de cette enfance qui persiste, un langage parallèle pour les danseurs comme pour le cœur pour porter les enjeux scéniques.

 

Enfin, petit à petit, les personnages redeviendront interprètes, pour ne laisser sur scène que celle dont on raconte la vie, enfin l’actrice, la chanteuse, face au public.

 

Un amour manqué

 

J’ai pris le parti de considérer Robert Dudley, conte de Leicester, l’unique amour de sa vie et l’une des raisons de ses échecs amoureux. Rencontré dans son enfance, Leicester devient le favori d’Elizabeth, jalouse de toutes présences féminines, et principalement de la première femme de Leicester ainsi que de sa supposée liaison avec Mary Stuart. Historiquement, il y avait une grande proximité entre la reine et son protégé ; il était le premier courtisan à la cour royale. Qu’ils aient été véritablement amants importe finalement peu : dans Bastarda, Leicester devient un personnage-clé en tant qu’incarnation de l’amour, d’être aimé pour qui on est.

Dans la deuxième soirée, ce schéma est répété avec Robert Devereux, nouveau favori de la reine, alors qu’elle a entre-temps perdu sa jeunesse (et bientôt ses cheveux et ses dents). Plus qu’un personnage singulier, ce ‘nouveau’ Robert est choisi pour sa jeunesse, sans doute pour croire encore qu’Elizabeth ne vieillit ni ne change. Semper Aedem est sa devise : toujours la même.

 

 

Une création de troupe

 

Bastarda est une idée, une recherche, une l’écriture une nouvelle dramaturgie que j’ai la fierté de porter. Elle nait de l’audace et de la prise de risque de Peter de Caluwe et du travail de la troupe que nous avons réunis aux côtés de Francesco Lanzilotta: un partenaire musical qui, au-delà de son talent de chef, porte une intelligence théâtrale et sert les voix, l’orchestre et la scène par une composition sans laquelle Bastarda ne pouvait exister.

 

Le spectacle qui est présenté s’est construit avec et pour ses interprètes – solistes, danseurs, chœurs), grâce à une équipe de mise en scène forte et soudée et surtout avec un théâtre, son orchestre et ses équipes de production et équipes techniques à qui je porte mon admiration et ma gratitude pour s’être jetés dans cette aventure inattendue.

 

Bastarda ne sera terminé que le soir de chaque représentation, avec et pour un public, à qui je dis, avec Shakespeare : « be our shadow people, fillling our imperfections with your fantasy and please be gentle in your jugement. »

director

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